Conversation : « Masculin féminin neutre etc »
Hourya Bentouhami, philosophe
La notion de genre (gender), née dans le contexte de la philosophie, des sciences humaines et sociales, désigne les nombreux modes selon lesquels les différences de sexe prennent sens et deviennent les facteurs structurels de l’organisation de la vie en commun. Elle a ainsi acquis le rôle de catégorie d’analyse et d’interprétation de la conformation exclusivement sociale des rôles masculins et féminins, entendus comme ensembles complexes traversés par des différences de classe, d’orientation sexuelle, de culture, d’ethnie, de religion. Amplement travaillée par le féminisme, comme mouvement et comme réflexion théorique, la notion a très heureusement servi a démanteler les modèles normatifs et performatifs de la masculinité, et dénouer le rapport entre genre et identité qui dans la tradition patriarcale et « logo-phallocentrique » s’indexe au sexe compris en un sens biologique et naturaliste, ou en tant force d’agencement d’une série de traits identifiant le sujet-homme et le sujet-femme, et établissant la domination du premier sur le second. Mais la notion de genre a fini aussi par susciter une myriade d’interprétations, d’interrogations et de controverses d’où sont sortis des « genres » de plus en diversifiés (LGBTQIA+, cisgenre, non-binaire, a-genre ou neutre, omni-genre, intersex, pan-genre, gender-fluid…). Comment la concevoir aujourd’hui, si l’on tient à sauver les processus de subjectivation, et si, malgré les controverses, on tient à ce qu’elle conserve ses qualités heuristiques, d’inventivité et de découverte - de traçage et traquage de toute forme de domination ?